lundi 12 janvier 2015




À l'aube de la vingtaine, moi, j'entrais à l'université, j'avais un travail à temps partiel peu forçant dans la petite boutique cadeaux située à l'entrée d'un hôpital, je sortais toutes les semaines fêter avec mes amis au pub étudiant, je découvrais enfin ce que ça faisait que d'entendre un garçon me dire qu'il me trouve belle et de le croire, je menais une vie insouciante.  Mes parents n'étaient jamais loin pour me venir en aide, au cas.  Je me souviens d'ailleurs que je les trouvais trop «là» pour la jeune adulte que je devenais.  Mais ça, c'est le genre de truc pour lequel la reconnaissance ne vient que des années plus tard.

Autour de ses 18 ans, ma grand-mère maternelle s'est enrôlée dans l'armée britannique lors de la Seconde Guerre mondiale.  Elle a été de celles qui guettaient les incendies sur les toits des maisons.  Les années suivantes, toujours en temps de guerre, elle a largué son fiancé australien puis a rencontré mon grand-père, un Québécois.  Ils se sont mariés dans une petite église de Brighton et elle a traversé l'Atlantique avec des centaines d'autres war brides pour vivre en Amérique et y fonder une famille.  Elle a appris le français.  Elle a encore un accent fort charmant, son accent bien à elle.  J'aime entendre les mots en anglais qu'elle glisse de temps à autre dans ses phrases, j'aime le fait qu'elle dit encore «they» au lieu de «ils», comme dans «They avaient pas le temps...», ou quelque chose du genre, et qu'elle garde ses verbes à l'infinitif parfois.  Je souris chaque fois qu'elle s'exclame «Well, bless my cotton socks!» ou qu'elle dit «We aim to please» lorsqu'elle nous reçoit.

Ma Granny a eu 92 ans l'automne dernier.  Elle a eu 8 enfants, 19 petits-enfants et accueillera son 18e arrière-petit-enfant cet hiver.  Nous sommes tout ce monde-là à nous la partager.  Elle est chaleureuse, généreuse, a l'oreille attentive et une patience du tonnerre.  Pendant des années, elle a fait des repas pour des armées, de la BONNE bouffe, et des BONS desserts.  Nous nous sommes tous déjà battus pour avoir le dernier biscuit aux chocolate Chipits ou la dernière pointe de tarte aux cerises.  Elle a du style, vous ne la verrez jamais «s'habiller en grand-mère».  Elle a du goût, les cadeaux qu'elle offre sont toujours choisis avec soin.  Elle a une jolie cour l'été, où se promène son ami Charlie, le petit tamia, et où se nourrissent plein d'oiseaux.  Elle s'informe de tout et de tout le monde, pense aux autres bien avant de penser à elle.  Elle se garde à jour avec les émissions branchées comme Dancing With The Stars et écoute aussi les nouvelles.  Elle donne son opinion mais ne se chicane pas.  Ma Granny est douce et forte en même temps.  

Je ne vais pas la voir assez souvent et je ne lui parle pas assez non plus.  Mais j'aime l'observer.  Je la trouve belle.  Je surveille ses réactions à ce qui se passe autour.  Je la regarde, je l'écoute.  Je l'aime.  C'est ma Granny.     


Katryn Young, ma Granny     (© Jean-Yves Blanchette)




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